Le côté humain de la tasse, Acte 2 : l'Equateur

Entretien avec nos producteurs

Le côté humain de la tasse, Acte 2 : l'Equateur

| 2020-06-08

Comme vous le savez peut-être, il y a quelques semaines avait lieu notre événement annuel les Primeurs Café avec un format un peu différent de notre traditionnel cupping dans nos entrepôts de Bordeaux, actualité oblige ! Nous avons envoyé chez nos clients torréfacteurs des boxes d’échantillons cafés et organisé des conférences en live de nos producteurs.
Vous avez été nombreux à suivre ces lives qui parlaient café, de la production à la tasse mais aussi qui témoignaient de l’importance du côté humain dans une tasse de café. Vous avez pu (re)découvrir nos partenaires et si certains torréfacteurs étaient déjà amoureux d’une tasse, ils ont pu tomber amoureux d’un producteur.
C’est pourquoi, à partir de cette semaine, nous allons publier des interviews de producteurs du monde entier. Alors que les récoltes commencent en ce moment même et que leur pays est confronté au Covid, nous leur donnons la parole pour que vous puissiez les connaître un peu plus et découvrir le côté humain derrière leurs tasses.

Angel, pour l'équipe sourcing Belco


Nous continuons cette série d’interviews avec Arnaud Causse, producteur en Equateur.

Quelle est la situation du COVID en Equateur ?

Très dure, il y a 3.500 morts dans un si petit pays ! Des milliers de personnes ont perdu leur emploi et des centaines sont dans une situation très précaire. La situation sociale se détériore de plus en plus chaque jour et la violence augmente. Par violence, je ne veux pas seulement dire le manque de sécurité mais des situations dramatiques et désespérées pour tant de gens.
Quelques mois avant la crise du COVID, l'Équateur a dû faire face à de très fortes grèves et émeutes indigènes dont les conséquences ont conduit à une catastrophe économique plus profonde. En raison des revenus pétroliers très bas, l'État était déjà très proche d'une véritable faillite et a dû faire affaire avec le FMI pour obtenir des prêts (dans les conditions du consensus de Washington avec tous les effets secondaires pour les couches les plus pauvres de la société…).
Cependant, les exportations de produits agricoles ont augmenté au cours de ce semestre et de nombreux emplois ont été sauvés dans les zones rurales, bien que l'industrie des fleurs coupées ait été fortement touchée par le manque de solutions de fret et la perte de ventes.
À ce stade, l'Équateur ne peut pas jouer avec l'impression monétaire comme le pourraient de nombreux pays (la monnaie est l'USD depuis 2000) et ne peut donc pas répondre aux besoins financiers des entreprises pour relancer leur activité. Aucun fournisseur de fonds ne peut faire confiance au gouvernement et prêter de l'argent, même à taux élevé ou à court terme. Le seul moyen est d'augmenter les impôts pour obtenir des revenus… Probablement le pire auquel toutes les entreprises pourraient s'attendre.
Il y a une autre solution effrayante qu'un gouvernement désespéré pourrait choisir, la pire : hypothéquer son sous-sol !!! Cela serait une catastrophe écologique et sociale violente et une énorme perte de biodiversité dans l'un des derniers hauts lieux de la vie sauvage au monde. L'une des meilleures zones de production de café équatorien est coincée entre deux énormes gisements (or et cuivre), peut-être le plus grand jamais trouvé. Je n’ose pas imaginer les effets d’opérations minières sur ce terroir…
De plus, il n’existe aucune protection sociale pour les chômeurs et toutes les banques privées ont cessé d’octroyer des prêts.

Comment le COVID affecte-t-il l'industrie du café en Équateur? Quels sont les défis? Comment cela affecte la gestion et le travail de vos exploitations ?

Pour être honnête et heureusement, dans le cas de l'industrie du café, l'impact négatif est assez faible en ce moment. En effet, la récolte ne fait que commencer et il n'y a pas une énorme demande de main-d'œuvre. Cela signifie que les producteurs de café n'ont pas perdu de production à ce stade et, évidemment, ni les opportunités de vente. Tout dépendra désormais des prix et du maintien de la demande. Nous attendons impatiemment des nouvelles des acteurs du marché.
Le plus grand défi à l'heure actuelle est la recherche de prêts pour les fonds de roulement. Les agences financières gouvernementales essaient de donner un coup de pouce mais leurs ressources sont très limitées (seulement 50 MUSD pour CFN et 1 BUSD pour Banco del Pacifico) et les procédures sont très compliquées… Les banques privées sont complètement inopérantes concernant tout accord financier, elles se concentrent sur la récupération d'anciens prêts. Plus que jamais, les exploitations agricoles dépendent entièrement des acomptes de partenaires commerciaux.
Le manque de solutions financières pourrait entraîner une mauvaise utilisation des intrants qui pourrait affecter les rendements futurs. En effet, la priorité est accordée aux salaires (récolte et tâches de routine) et aux impôts.
Les mesures sanitaires mises en œuvre ne sont pas si contraignantes et nécessitent simplement plus de discipline que d'habitude, le coût d'une telle mise en œuvre est assez marginal et n'affectera pas les résultats économiques.

Penses-tu que la pandémie COVID pourrait créer un changement dans notre société ? Si oui, lequel ?

Malheureusement, je ne le pense pas mais j'espère vraiment me tromper…
Je suis certain que nous perdrons l'occasion d'être plus résilients. Pour éviter un véritable effondrement il a fallu admettre une décroissance totale au niveau de la planète. Aucun gouvernement n'aurait pris une telle initiative seul, mais ce virus les y a contraints. Selon les règles néolibérales, nous pouvons nous attendre à une nouvelle croissance économique énorme qui compensera les pertes dues à la crise (comme une sorte de boom d'après-guerre). Cela signifie que nous oublierons facilement que les marchés financiers s'effondraient juste avant le début de la pandémie de COVID et que l'argent sera encore une fois roi. Nous allons extraire les ressources fossiles à un rythme plus frénétique et empoisonner encore une fois notre environnement.
Le changement le plus menaçant pourrait être le bannissement des embrassades.
Dernière nouveauté financière: la capitalisation boursière de Zoom vaut désormais plus que les sept principales compagnies aériennes combinées. Quel changement !
Les changements positifs les plus importants qui auraient pu être attendus ne se produiront pas parce que la plupart des gens qui pensent que la résilience globale et holistique est le seul moyen de léguer un monde meilleur aux générations futures ne sont pas assez agressifs et ne se battront pas courageusement pour mettre fin à cette ère industrielle.
La crise COVID aurait pu être la seule et dernière occasion d'éviter le cauchemar de l'effondrement de l'Anthropocène, mais l'humilité n'est pas le meilleur atout humaniste et Mère Nature s'emporte.

Nous savons que le COVID est d'abord une crise sanitaire mais qu’il sera par la suite une crise économique. Comment dans le futur vois-tu changer ou se transformer l'industrie du café de spécialité ?

Comme expliqué précédemment, une énorme croissance économique suivra la crise. De nos jours, qui boit et achète des cafés de spécialité ? Les personnes qui n'ont pas (trop) perdu de pouvoir d'achat parce qu'elles vivent dans des pays qui peuvent imprimer de l'argent quand elles le souhaitent et suffisamment pour compenser toute perte. Demain, tout amateur de café spécialisé paiera en crypto-monnaies sa tasse bien-aimée.
Pendant le confinement, selon les commentaires de nos clients, les cafés les plus chers étaient les plus demandés sur les plateformes de vente en ligne parce que les gens prenaient leur temps pour en savoir plus sur les origines du café et pour choisir une véritable expérience exotique. Nous devons parier que cette tendance se maintiendra et augmentera. Nous l’espérons.
Encore une fois, regardons quelle est la part de matière première dans une tasse de café: 12 g de café torréfié signifie, au niveau de l'enchère, 4 cts comme produit de base, peut-être 10 cts lorsque c’est un microlot et une moyenne de 16 cts lorsque que c’est un nanolot.
12g = 12 cts de différence entre un mauvais mélange astringent et la sensation intense la plus agréable !!! Cela peut-il avoir une influence sur le comportement de consommation ?

Qu'aimerais-tu dire aux torréfacteurs et aux consommateurs qui achètent actuellement les cafés de tes fermes et pourquoi les encouragerais-tu à continuer d'acheter, de torréfier et de boire tes cafés à l'avenir ?

En fait, nous ne sommes pas des producteurs de café mais des artisans des saveurs. Nous essayons de répondre au mieux aux attentes de nos clients et croyez-moi (j'essaie d'apporter l'excellence à nos clients fidèles et fiables depuis environ 25 ans) ce n'est pas toujours un jeu d'enfant mais nous adorons ce challenge. Chaque année, émergent de nouvelles tendances et nous devons trouver comment les associer à des innovations terrain. Nous sommes des cultivateurs passionnés mais aussi des paysans et j'adore ce mot, nous vivons et évoluons au rythme de la terre et de la nature et non au rythme des marchés. Alors s'il vous plaît, soyez patient et engagé pour valoriser l’excellence d’un produit auquel des producteurs se dévouent totalement plutôt que de céder à la tyrannie du marketing.
D'un autre côté, défendre et valoriser notre travail et le vôtre ne signifie pas rester statique. Nous continuerons d'innover en suivant nos intuitions et notre expérience mais aussi en vous écoutant et en suivant vos désirs de tasse. La communication est la clé… Si maintenant il est plus compliqué de traverser les océans et les barrières sanitaires, restons en contact pour que nous puissions nous améliorer constamment. Vos commentaires sont inestimables…
Notre souci de rechercher la manière la plus résiliente de produire nous pousse à en apprendre chaque jour davantage sur d’autres essais de cultures agro-écologiques mais aussi à regarder de près comment la nature réagit généreusement lorsqu'elle est respectée. Nous pouvons apporter cette brique dans le mur du changement… et la plupart de nos partenaires au milieu et/ou à la fin de la chaîne partagent cette vision pour construire un monde meilleur. Des temps meilleurs viendront bientôt…
 

Pour finir, qui est Arnaud en quelques mots:

Quel est ton livre préféré ?

«Empresas y tribulaciones de Maqroll el Gaviero» d'Avaro Mutis où l'histoire n'a pas d'importance mais le style…

Quel mot choisirais-tu pour définir ton équipe dans les fermes ?

Fièrement engagé (deux mots, désolé…)

Quel est ton personnage favori, celui qui t'inspire dans l'histoire humaine et pourquoi ?

Humblement Jean Henri Fabre comme mentor pour trouver le moyen de comprendre la nature et d'être plus résilient au quotidien.
Il y a un siècle, n’écrivait-il pas: «Tout semble montrer que le jour viendra où l’humanité succombera, tuée par un tel excès qu’elle appelle la civilisation»… tellement prophétique !

S’il t’arrive de croire à la réincarnation, en quel animal aimerais-tu te réincarner et pourquoi ?

Un ver de terre car il n'a pas besoin d'entendre et de voir pour vivre, il peut expérimenter les deux sexes au cours de sa vie mais, surtout, il est si utile, essentiel et discret, l'altruisme à son summum !
Je me concentre sur la culture des caféiers sur un sol vivant. Mes meilleurs alliés sont les vers de terre. Je suis tellement reconnaissant de leur travail et de leur incidence positive, tellement incroyable et ils n’attendent rien en retour…

Qu'est-ce qui fait de toi la personne la plus heureuse qu’il soit ?

La diversité… Des sons (musique, silence…), des saveurs et des goûts (nourriture, boissons), des couleurs, des pensées, des vies…
partager

Je m'abonne à la newsletter Belco :
logo BELCO

Retrouvez-nous sur :


Contactez-nous

Appelez-nous au 05 56 16 56 56

Du lundi au vendredi de 09h00 à 19h00

ou


Contactez-nous directement

sur notre formulaire en ligne.

Mentions légales | Notre politique de confidentialité | CGV